Soutenue par les jésuites, mais aussi par l'ACN, l’Œuvre d’Orient à Paris, et des ONG et des institutions catholiques en Italie, en Allemagne, en Autriche, en France et en Suisse, la communauté al-Khalil est installée depuis 2012 dans le quartier historique de Sabunkaran, connu comme le «quartier des fabricants de savon», à Souleymanieh, une métropole kurde de près de 2 millions d’habitant. Le Père Jens travaille actuellement avec une moniale originaire de Bavière, Sœur Friederike Gräf, à bâtir un lieu de rencontre et d’échange avec l’ensemble de la population, Kurdes et Arabes, chrétiens, musulmans et yézidis, immigrés asiatiques, population locale et déplacés de guerre.
Le Kurdistan, une étape pour les chrétiens, avant l’émigration
De 2014 à 2017, le monastère de la Vierge Marie (Deir Maryam Al-Adhra) à Souleymanieh a dû faire face à l’urgence des réfugiés chassés des villages chrétiens de la Plaine de Ninive lors de l’offensive des terroristes de Daech, «l’Etat islamique». L’établissement dirigé par Jens Petzold avait alors accueilli 250 réfugiés chrétiens venant notamment de Qaraqosh, localité syro-catholique, et de Bartella, principalement peuplée de chrétiens syro-orthodoxes.
Nombre d’entre eux sont partis à Ainkawa, la banlieue chrétienne d’Erbil, au Kurdistan, mais pour beaucoup, ce n’est qu’une étape avant d’émigrer ⌈à lire Ainkawa ou la vie de chrétiens d’Irak, un reportage de Monir Ghaedi et Giacomo Sini⌉. D’autres sont d’abord allés en Jordanie, avant le départ définitif en Australie. Certaines familles sont installées en France. Plus de la moitié sont rentrés dans la Plaine de Ninive, essentiellement à Qaraqosh. «Les événements ont montré à la communauté chrétienne que son avenir dans le pays était incertain, que les pouvoirs publics ne l’avaient pas vraiment protégée. Les chrétiens ont perdu confiance dans les institutions de leur pays!»
Grosso modo, à Souleymanieh, dans une population en très grande majorité musulmane, vivent quelque 500 familles chrétiennes installées là depuis longtemps: ce sont les chrétiens locaux. Des réfugiés sont arrivés de Mossoul et de Bagdad, où le signal de départ des chrétiens a été donné par l’attaque de la cathédrale syriaque-catholique de Sayidat al-Najat (Notre-Dame du Perpétuel secours): le 31 octobre 2010, des terroristes se réclamant d’Al-Qaïda avaient massacré 46 fidèles à l’heure de la messe, dont des femmes et des enfants, et deux jeunes prêtres, Wassim, 27 ans et Taher, 32 ans. Puis est venue l’invasion des villages chrétiens de la Plaine de Ninive par les terroristes de Daech durant l’été 2014. Ce sont environ 500 familles qui se sont alors réfugiées dans cette région du Kurdistan. Les évangéliques sont environ 300 dans la ville, ainsi que 500 à 600 chrétiens étrangers. Ce sont des aides de maison, des infirmières, des ingénieurs, venus des Philippines, d’Inde, du Pakistan, mais également d’Érythrée et d’Éthiopie ainsi que quelques coptes égyptiens et des Occidentaux.
Accueil de tous, chrétiens, musulmans et yézidis
La cohabitation est en principe bonne, note le Père Jens, car la grande majorité sont des musulmans sunnites, avec une part importante de musulmans soufis et de musulmans traditionnels, modérés. «Il y a aussi des salafistes et des wahhabites, qui restent pour le moment minoritaires, mais des imams s’inquiètent de l’évolution et se demandent comment garder les jeunes dans un Islam traditionnel! Notre travail consiste à accueillir tout le monde, musulmans, chrétiens, yézidis –ce sont eux qui ont subi les pires persécutions– , à leur donner des éléments pour organiser la vie en société, en œuvrant à faire reculer les préjugés présents dans la société traditionnelle, tant chez les chrétiens que chez les musulmans. La société change, mais elle est encore très patriarcale. Certains ne comprennent pas que nous accueillons dans notre couvent des musulmans tant kurdes qu’arabes. Et des femmes musulmanes voilées! Il y a beaucoup de blessures à soigner, car presque tous ont vécu des traumatismes, des séquelles de la guerre.»
Un espace culturel, de recherche et d’apprentissage interreligieux
Au monastère de la Vierge Marie, où l’on mène un projet d’espace culturel, de recherche et d’apprentissage interreligieux, des professionnels donnent notamment des cours sur le rôle de la femme dans la société locale. Dans ce «lieu d’hospitalité pour des femmes et des hommes», sont aussi donnés des cours de langue: kurde pour les arabophones, arabe pour les kurdophones et également anglais. Des locaux sont mis à disposition pour de la formation professionnelle préparant aux métiers de l’électricité, de la plomberie, de la ferronnerie, de la soudure, de la menuiserie, de la couture et du secrétariat. La communauté a également lancé un petit théâtre multi-ethnique, multilingue et multi-religieux. Et le Père Jens de conclure: «Deir Maryam Al-Adhra, c’est un cœur qui bat au Nord-Est de l’Irak!»
Le corps du Père Paolo Dall’Oglio, enlevé par Daech, n’a jamais été retrouvé
Le Père Petzold n’a aucune nouvelle du jésuite italien Paolo Dall’Oglio, fondateur en 1982 de la communauté al-Khalil. Il a disparu depuis le 29 juillet 2013, alors qu’il était allé à la rencontre des cadres de Daech, à Raqqa, à l’époque fief du «califat» de l’Etat islamique, au nord-est de la Syrie. Il voulait obtenir la libération de plusieurs otages détenus par le groupe djihadiste. Le corps du Père jésuite n’a pas été retrouvé, bien que des recherches semi-privées aient été organisées depuis l’Italie et aussi par des amis de la communauté à Raqqa. «Cela n’a donné aucun résultat et il y a de nombreuses hypothèses contradictoires qui circulent sur le sort du Père Paolo». Le moine zurichois pense qu’il y a peu d’espoir que son compagnon soit toujours en vie.