dimanche, 06 mars 2011 11:00

Aujourd'hui, la révolte

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Dans les années '80, des mouvements associatifs de la « société civile » demandaient des mesures pour prévenir l'effet de serre. Taxés d'alarmistes, ils ont vu leurs craintes confirmées. D'autres, au début des années ?90, dénonçaient les dangers de la mondialisation et du néolibéralisme et soulignaient les risques induits par l'ampleur de l'endettement mondial et par l'émergence des nouveaux produits financiers. On préféra balayer leurs réticences et jouer la carte de la continuité... Résultat, la crise économique a durement frappé les classes moyennes, qui rejoignent les laissés-pour-compte dans leurs préoccupations et sentiments d'injustice.

Car le désenchantement est bel et bien mondial, même s'il ne se développe pas au même rythme. Après la chute du communisme, les populations des pays de l'Est ont rêvé de lendemains sublimes. Le capitalisme qu'ils avaient rejoint allait leur ouvrir les portes de la prospérité. Ce discours ne fait plus recette : « La jeune génération s'est tout simplement rendu compte qu'il n'y a plus d'ascenseur social et que l'égalité des chances, c'est de la propagande. »[1] On a dit aux jeunes, tant à ceux des pays du Nord que du Sud : « Avec une bonne formation, vous vous en tirerez. » Puis, « avec une très, très bonne formation, vous vous en tirerez ». On ne compte plus le nombre de surdiplômés tentant en vain de décrocher un emploi et qui se rabattent sur des stages convoités par les moins formés, qui se demandent comment ils vont survivre. Combien de fois avons-nous entendu, sans vraiment écouter : « Ça ne peut pas continuer ainsi ! Les gens vont se révolter ! Et pas seulement au Sud ! » Rien d'étonnant à ce que des gens en colère descendent dans les rues des grandes capitales. Quand la crasse accumulée ne permet plus de voir à travers les carreaux, il ne reste comme alternative que le nettoyage à grandes eaux.

Il y a plus de soixante ans, Leon Festinger, psychologue social américain, développait la théorie de la « dissonance cognitive » : une personne amenée par les circonstances à agir en désaccord avec ses croyances éprouve un état de tension appelé « dissonance » ; plus longtemps elle reste dans cet état, plus il lui est difficile d'en sortir car elle doit admettre avoir investi « pour rien ». Tant qu'elle pense être libre de choisir, elle ne changera pas de croyance ou seulement par adaptations. Ce n'est qu'acculée qu'elle optera pour la transformation radicale. N'est-ce pas ce à quoi on assiste ?

Grèce, Espagne, France, Tunisie, Egypte, Yémen? Si la trame politique diffère, le refrain est le même : les manifestants revendiquent un meilleur partage du pouvoir et/ou des ressources du pays, et la possibilité de se projeter dans l'avenir. En janvier dernier, pendant les mouvements de rue à Tunis, la Radio suisse romande a repassé l'interview « prémonitoire » d'un Tunisien, réalisée il y a quelques années. Il était diplômé universitaire, sans emploi, et vivait avec quatre frères et soeurs chez ses parents, avec le seul salaire du père. Il disait son « désespoir », et que « les Tunisiens n'en peuvent plus ». Même au Brésil, où le développement économique se porte plutôt bien, l'idée fait son chemin : « ...les plus lucides ajoutent : il faut distribuer les richesses. [Mais] ceux que l'on appelle 'développementistes'... laissent de côté cette thèse, qu'ils considèrent comme ingénue même si elle est portée par certains documents de l'Eglise catholique, fixant comme objectif à atteindre celui du "développement de tout l'homme et de tous les hommes" (Paul VI, Populorum Progressio). »[2] En France, le récent succès du livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous, devrait interpeller les dirigeants. Les fausses promesses, la langue de bois, les propos rassurants ne sont plus suffisants. Avant que les révoltes ne se transforment en révolutions, les politiques devraient réfléchir aux paradigmes d'une nouvelle gouvernance et poser rapidement des actes allant dans le sens d'un plus grand partage, comme nous y convie la Campagne oecuménique de Carême.[3] Il n'y a pas là naïveté mais lucidité.

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