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mercredi, 08 septembre 2021 11:12

Peintures de lumière de Kim En Joong

ExpoURSINIA annonce KEJ Web 1012x629Dominé par le souvenir lumineux d’Alfred Manessier, artiste et homme de foi, le Père dominicain Kim En Joong renoue avec un genre dont le XXe siècle s’était progressivement éloigné. À l’occasion de la célébration des 1400 ans de la mort de saint Ursanne, Kim En Joong expose au Cloître de la Collégiale et au Caveau de Saint-Ursanne 140 peintures inédites réalisées en «action de grâce». Leur vente a pour finalité de financer les vitraux du cloître.

Né en 1940, Kim En Joong, qui a traversé plusieurs continents avant de s’enraciner en Suisse, rend ainsi hommage à l’ermite irlandais qui, après avoir traversé l’Europe à pied, s’était établi dans une grotte dominant la localité qui porte aujourd’hui son nom. Ces œuvres sont un acte de «reconnaissance envers la province dominicaine suisse à laquelle j’appartiens».

Un art sacré en déshérence

À l’exception de quelques irréductibles comme Matisse, Rouault, Cocteau et Alfred Manessier, les artistes du XXe siècle se sont lentement détournés de l’art sacré suivant en cela le déclin des croyances. Pendant des millénaires, ils avaient pourtant trouvé en lui des images vectrices de transcendance. Le vitrail a mieux résisté à cet inexorable déclin (1). Alliant l’art à la virtuosité de l’artisan, il s’était enrichi dès son origine d’une dimension spirituelle. Jusqu’au XXe siècle, on a voulu sonder la mystérieuse composition de la lumière, opposant à tort la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire. Au Moyen Âge, la lumière fascine par sa capacité de traverser le verre sans le briser, ce qui l’assimila métaphoriquement à l’immaculée conception. En 1120, Suger, abbé de la basilique Saint-Denis, reprend dans ses écrits la symbolique mystique, telle une expression de la foi qui illumine le monde. Ce sera le point de départ d’un prodigieux développement et d’un véritable âge d’or un siècle plus tard.

Lire à propos de l'art du vitrail, l'article de l'historien Stefan Trümpler À la Collégiale de Romont, chaque heure est différente. Il y évoque de manière poétique l'ensemble emblématique de vitraux du XIVe au XXe siècle qui ornent la Collégiale de Notre-Dame de l'Assomption.

Le renoncement à la réalité tangible

Le XXe siècle doit sa renaissance à l’artiste et Père dominicain Marie-Alain Couturier qui bouleversa les usages en renonçant à l’académisme et à la narration figurative. Il s’entoura de quelques-unes des figures marquantes de l’art moderne, auxquelles furent confiées des commandes fondatrices d’un renouveau. Entre 1947 et 1951, Henri Matisse intervient à la Chapelle du Rosaire à Vence, Fernand Léger à l’église du Sacré-Cœur d’Audincourt et enfin Alfred Manessier dans la petite église du XVIIIe siècle des Bréseux dans le Jura, en 1948, où il innove en créant les premiers vitraux abstraits. Son exemple fera école en Allemagne et en Suisse où il répondra à de nombreuses commandes notamment pour la cathédrale de Fribourg, l’un de ses chefs-d’œuvre.

Simulation collegileStUrsanne

Quand l’art et la foi se conjuguent

Le Père Kim En Joong eut plusieurs vies, la première en Corée du Sud où il naît en 1940 durant l’occupation japonaise, dans un contexte de privation et de conflit entre les deux Corées. Au sein d’une fratrie de huit enfants et auprès d’un père calligraphe, il s’inscrit dans une tradition orientale d’obédience taoïste. Influencé par son père, il s’initie à la calligraphie. Parallèlement, il apprend le français et entre à l’École des beaux-arts de Séoul alors que se tissent des liens culturels entre l’Orient et l’Occident. Il se passionne pour la scène artistique européenne et l’abstraction, inconnue en Corée, quand dans le même temps sa vocation religieuse se dessine.

Puis l’ancien professeur de dessin de l’école catholique de Séoul connaît une deuxième existence en Suisse, où il poursuit ses études de théologie et d’histoire de l’art. Le 4 août 1970, il prend l’habit des dominicains; son ordination intervient quatre ans plus tard. À la Suisse succède Paris, où il intègre le couvent de l’Annonciation. Sa foi chrétienne est indissociable de sa vocation artistique. Il mène de front ses aspirations diverses. Il enchaîne les expositions à Séoul, Paris, Lausanne, Berne, Oslo, Luxembourg, Frankfort ou Chicago.

image Manessier et KimAlfred Manessier et Kim En Joong dans son atelier à Emancé le 29 août 1983, Archives Manessier

Celui qu’on surnommait au début des années soixante-dix «le peintre de lumière» réalise en 1973 ses premières verrières pour l’église des dominicains à Fribourg où il était novice. Son œuvre et ses convictions trouveront d’autres lieux d’expression à Evry, Chartres, Lyon, Brioude, Thann en France, mais aussi en Irlande, en Italie et en Autriche. Il suivait l’exemple de Manessier, homme de foi qu’il avait rencontré en 1983. Le peintre abstrait s’était converti après avoir vécu une expérience mystique à la Grande Trappe de Soligny en 1943. «J’ai été élevé en dehors de toute idée religieuse. J’étais véhémentement contre l’institution ecclésiastique et contre les mensonges de l’Église. J’étais en révolte.» En entendant le Salve Regina, «j’ai profondément ressenti le lien cosmique entre ce chant sacré et cette nature tout autour qui s’enfonçait dans le silence du crépuscule. Les heures prenaient une beauté insolite.»

Alfred Manessier était d’une douceur simple et d’un exercice de la foi dépourvu de prosélytisme. S’engager contre le nazisme, le franquisme, la guerre du Viêt Nam était un devoir. Le révolté multiplia les hommages à Martin Luther King contre la ségrégation raciale, avant de s’insurger contre la misère des Favelas. Sa foi était active et son action profondément humaniste.

Hommage saintUrsanne KimPeintureKim

Kim En Joong a souhaité célébrer celui qui fut un guide, en exposant ses cartons de vitraux pour l’église de Tous-les-Saints et ceux destinés à l’église Notre-Dame-de-la-Prévôté à Moutier. Ce dernier site était au début des années 60 emblématique de l’adhésion de l’Église à la modernité. Le message de Kim En Joong parle de cette modernité, mais il est surtout imprégné d’une croyance forte et généreuse, de celle que notre époque appelle de tous ses vœux. «Mes travaux veulent chanter l’espérance, confiait-il à Mgr Francesco Marchisano en 1999, éveiller à la joie et donner aux épreuves mêmes les couleurs de la promesse.»

 

URSINIA KEJ annonce 62x59mm vignetteKim En Joong
Sur les pas d’Alfred Manessier et de saint Ursanne
Cloître de la Collégiale et Caveau de Saint-Ursanne
jusqu'au 3 octobre 2021
www.ursinia.ch

 

1. Lire également sur ce site, l'article de Stefan Trümpler historien de l’art qui a dirigé pendant une trentaine d’année le Vitrocentre Romont, le centre de recherche sur le vitrail et les arts du verre, ainsi que le Vitromusée de Romont : À la Collégiale de Romont, chaque heure est différente

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