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mardi, 20 décembre 2016 10:18

Le tourment de la guerre

SoldatsInouïe la somme d’informations concernant les guerres! Une telle connaissance de l’Histoire, mêlé à ce sentiment d’étonnement face à la cruauté vécue par tant de soldats et de personnes est intriguant. L’auteur le révèle, après avoir vu un charnier en Sibérie: «Une chose est de savoir une autre de voir... Cette fois, à titre personnel, j’étais physiquement devant l’effroyable chose.» Un livre qui a captivé deux de nos recenseurs.

Jean-Claude Guillebaud
Le Tourment de la guerre
Paris, L’lconoclaste 2016, 394 p.

L’auteur, reporter de guerre, évoque d’abord de nombreux événements qui ont marqué les esprits et les cœurs. Un fait: le 24 juin 1812, 420’000 soldats de l’armée de Napoléon, à Kaunas (Vilnius), pénètrent en Russie. Six mois plus tard, défaite et retraite. Près de 30’000 soldats vienent à Vilnius mourir d’épuisement et de faim. En 2002, on a retrouvé un charnier de 3269 corps. «Une base militaire avait été construite puis rasée par la suite. On engage de gros travaux pour construire un quartier résidentiel. Il fallait prévoir des fondations profondes. Les pelleteuses dégagent inopinément le charnier de 1812.»
Quelques pages décrivent quatre situations tragiques parfois entremêlées: «l’horreur blanche, celle du froid; l’horreur sanglante, celle des corps; l’horreur de la faim; l’horreur psychique, qui n’est pas la moindre.» À mentionner l’épouvantable famine ukrainienne provoquée par Staline en 1931 -1932. «On évalue entre quatre et six millions de victimes le résultat final de cet affamement... Ce crime de masse fut longtemps très mal connu, voir sous-estimé.»

Impossible oubli
Jean-Claude Guillebaud a personnellement vécu plusieurs conflits, risquant sa vie en tant que journaliste: Biafra, Vietnam, Erythrée. Il a parcouru les champs de bataille, expliquant le déroulement des combats, parfois atroces, entachées de barbarie, les charniers redécouverts, le nombre colossal de tués. À noter aussi le pillage des habitations, les désastres alimentaires et médicaux ... et l’auteur d’aider une fois les chirurgiens débordés au Biafra...
Il décrit aussi les «pauses» de groupes de soldats fatigués et las de se battre, signale même certaines fraternisations entre ennemis, comme en période de Noël, ce que les chefs interdisaient. Plusieurs épisodes décrivent le «mal-être» des soldats revenant chez eux après des faits d’armes héroïques ! Oubliés, sans ressources, proches des SDF, certains se suicident, ils sont marginalisés; l’auteur s’arrête sur cette ingratitude des États.
Autres aspects méconnus: la place de la musique, avant, pendant ou après les combats: deux chansons, traduites en plusieurs langues, font le tour du monde ; la vente d’objets, ici ou là, retrouvés sur les soldats déterrés longtemps après les combats; les femmes combattantes en Erythrée.

Quand la guerre se privatise
En dernière partie, l’auteur analyse l’évolution de la violence: «Elle se déterritorialise et se privatise. Elle n’oppose plus les États et des armées, mais des adversaire privés, mal identifiables.» Il précise: «Dans les motifs de départ des jeunes Français pour le jihad, on retrouve à peu près tous les ingrédients du bellicisme que j’ai tenté d’examiner dans ce livre : rompre avec l’ennui, se mesurer à la mort, éprouver les limites de son courage, récolter une forme de gloire, arborer une tenue de combat valorisante, partager avec des gens de son âge des expériences de vie ou de mort, etc. Il faut réapprendre à penser la guerre et la violence pour reprendre la main... L’arrivée aux extrêmes de la violence belliqueuse contemporaine nous rappelle que les facteurs traditionnels de la guerre sont toujours présents. J’ai entrepris d’écrire ces pages dans ce seul but: réexaminer les ressorts, anciens ou nouveaux, de la guerre; regarder la face de ce que j’appelle depuis mon enfance le Tourment de la guerre.»

Des faiseurs de paix
En fin du livre, Jean-Claude Guillebaud fait l’éloge de deux personnages admirables: «TolstoÏ et Dunant sont pour moi des étonnants faiseurs de paix. Il y en a d’autres moins célèbres ou même méconnus du public. Évoquer quelques-uns de ces exemples me paraît la meilleure façon d’achever ce livre.» Les dégâts de la guerre sur le plan matériel et sur l’existence humaine suscitent l’horreur de toute guerre: «Un immense dégoût pour la guerre m’habite aujourd’hui... tout me pousse vers un refus obstiné de non-violence, une haine assumée de la guerre, une non-vioIence assumée.»
En refermant ce livre, le lecteur mesure mieux quel «tourment» peut provoquer une guerre.

Willy Vogelsanger

 

Je reste sans voix

Impossible de faire une recension de ce livre de près de 400 pages relatant mille souvenirs. Souvenirs de guerres puisque l'auteur en était reporter et souvenirs d'enfance : «J'avais trois ans, J'avais cinq ans, dix ans...» Récits aussi d'écrivains, d'historiens, à travers des centaines d'années, de visites de champs de batailles, en Europe et dans le reste du monde. Cimetières aux milliers de croix blanches, charniers, murailles entourant des villes dont le mortier était fait d'os humains, de soldats jonchant le sol et dévorés par des chiens sauvages ou des oiseaux de proie.
Des siècles d'alternance entre guerres et paix. Contenir une guerre, nous dit-il, est une tâche infinie qui ressemble à celle de Sisyphe roulant son rocher.
L'épopée napoléonienne fera la jonction entre deux âges de la guerre: celui de princes et celui de citoyens. Moscou incendié est une horreur, suivie de pillages, de rapines et de famines. La guerre, avec ses penchants destructeurs, peut sembler «conforme à la nature, biologiquement très fondée et pratiquement inévitable.»

Si l'auteur reste sans voix à la lecture de Thucydide La guerre du Péloponèse, je reste moi aussi sans voix et comme écrasée sous le poids de l'histoire et de ses guerres innombrables. Le voyage qu'il nous offre, au bout de l'horreur et de la violence, est-il un miroir qu'il nous tend, nous apportant un éclairage sur les évènements contemporains ? Je vous laisse le soin d'en décider.

Marie-Luce Dayer

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