bandeau art philo
jeudi, 31 octobre 2019 12:20

Henry Dunant, la croix d’un homme

ChaponiereCorinne Chaponnière
Henry Dunant, la croix d’un homme
Genève, Labor et Fides 2018, 576 p.

La vie du fondateur de la Croix-Rouge se découpe en quatre parties quasiment égales. Tout d’abord une jeunesse imprégnée d’une religiosité exigeante, suivie d’une vingtaine d’années d’action internationale frénétique. Puis vingt ans d’errance entre la France (où il est un témoin impuissant de l’écrasement de la Commune), l’Italie, l’Angleterre et l’Allemagne; vingt ans de disette, de délire de persécution et de ressassement de reproches et de rancunes. Enfin, le dernier quart, avec l’exil à Heiden (Appenzell Rhodes-Extérieures). Là, reclus volontaire dans sa chambrette, il reçoit la satisfaction du Prix Nobel de la Paix et la reconnaissance internationale tant attendue.

Dans cette biographie minutieusement documentée, la journaliste et écrivaine genevoise Corinne Chaponnière retrace le besoin de notoriété du citoyen genevois, sa soif -fort efficace au demeurant- de la cour des princes et des rois. Avec une incroyable mixture de ruse, de narcissisme et de générosité, à peine trentenaire, Henry Dunant fonde les Unions chrétiennes de jeunes gens, puis la décennie suivante la Croix-Rouge.

C’est en cherchant à rencontrer Napoléon III, pour lui remettre une édition de luxe du panégyrique qu’il lui a consacré, qu’il bute en juin 1859 sur les blessés de la bataille de Solférino. Ils lui inspireront son livre culte. Véritable manifeste, largement diffusé, il va porter son idée maîtresse: créer des corps de secouristes reconnus par tous les belligérants, leur confier le soin des blessés de tous les camps.

En très peu d’années, sans autre point d’appui que la vénérable Société genevoise d’utilité publique, agissant au culot, Dunant parvient à convaincre seize gouvernements d’envoyer des délégués officiels à la Conférence de Genève qui, en octobre 1863, valide en dix résolutions et trois vœux son projet. Neuf mois plus tard, une conférence diplomatique adopte la Convention de Genève.

Mais tout aussi rapidement qu’il est monté au zénith, Dunant chute bien bas, entraîné par son attrait pour les investissements, lui qui n’en a guère les ressources. Comme d’autres Suisses, il a voulu se faire une santé financière en Algérie, prise aux Ottomans quelques décennies auparavant par la France. Combien de fois a-t-il dû aller sur place, faire antichambre, empiler montage sur montage, pour que finalement une lourde faillite emporte sa fortune et sa réputation! En mai 1867, talonné par ses créanciers et sa mauvaise conscience, exclu de l’organisation qu’il a construite, il quitte nuitamment Genève pour ne plus jamais y revenir.

Il ne lui sera pas donné de rééditer le coup de génie de 1863 et aucun de ses vastes projets n’aboutira: prévenir les conflits armés par l’arbitrage international, protéger les prisonniers de guerre, abolir l’esclavage, mobiliser les femmes pour la paix et la famille, donner une nouvelle vie à la Palestine, réconcilier le Proche-Orient... Il payera très cher ses fuites en avant, son tempérament impulsif, ombrageux et impérieux.

Comme le dit joliment sa biographe, «le génie de Dunant ne s’embarrasse pas de ses victimes, même si le souci des victimes a fait tout le génie de Dunant». Et ce sont paradoxalement ces mêmes traits de caractère qui ont fait de lui un fondateur d’humanité.

Lu 336 fois