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lundi, 06 septembre 2021 10:38

J’aimerais que vivre tu apprennes

CarrilloFrancine Carrillo
J’aimerais que vivre tu apprennes
Une lecture de Maître Eckhart
Genève, Labor et Fides 2020, 140 p.

C’est à «goûter l’Écriture que j’aimerais vous convier dans les pages qui viennent», nous dit Francine Carrillo. Quand sa connaissance théologique, biblique et spirituelle rencontre les écrits de Maître Eckhart (XIIIe-XIVe siècle), c’est une fluorescence de lumières qui jaillit, une «incandescence de la Vie en soi»! La réflexion autour du récit de Luc (10,38-42) médité par Maître Eckhart (sermon 86) fait jaillir des sources inconnues loin d’une lecture dualiste à laquelle nous sommes habitués: Marthe et Marie accueillent Jésus; l’une s’affaire pour le recevoir, l’autre s’assoit à ses pieds pour écouter sa parole.

Maître Eckhart va à contre-courant des opinions reçues: il ne s’agit pas d’une supériorité de la vie contemplative sur la vie active. Sa préférence va vers Marthe qui «excelle dans le ‹bon› souci qui est d’entreprendre sans se laisser prendre dans ce qu’on fait; Marie est encore sur le chemin inaccompli». La vraie vie est dans le détachement, la déprise de soi, la pleine attention au présent, dans «l’agir sans pourquoi» que nous retrouvons chez les mystiques rhénans et chez Marguerite Porette ou Angélus Silésius.

À travers les figures de Marthe et Marie, Maître Eckhart s’emploie à articuler inquiétude et liberté, souci et sérénité: un «apprentissage de l’intériorité et de l’extériorité […] au-delà de la stérile alternative entre action et contemplation». «C’est là que Dieu se donne […] au cœur des occupations et des appels qui nous rencontrent.»

L’auteure nous invite à rejoindre notre centre de gravité, à nous établir dans la «grandeur de l’être» qui «nous empêche de tituber dans les turbulences ou sombrer dans l’effroi de ce qui s’annonce». Au sujet de Dieu, elle nous rappelle la parole forte de Maître Eckhart: «Je prie Dieu qu’il me libère de Dieu.» Vivre «sans Dieu», c’est «comprendre que Dieu n’est pas un ajout à la réalité, mais bien la source, le fondement ultime d’où jaillit le dynamisme de vie […] C’est choisir de se tenir à chaque instant au lieu d’incandescence de la Vie en soi.» Les empreintes de Dieu seront la joie et la paix qui naissent, non d’un retrait mais d’un «embrassement» du réel. En nous, «Marie se tient immobile alors que Marthe est sur le chemin, mais elles vont ensemble, main dans la main!»

La lecture de Maître Eckhart n’est pas toujours facile, mais elle est d’une vérité et d’une profondeur qui ne peuvent que nous mener à la Vie. Et l’aide de quelqu’un de plus compétent que nous est utile!

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