Le Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, le Père Arturo Sosa sj, était également présent. «Je n’ai pas préparé de discours, a commencé le pape, alors si vous le voulez, posez des questions. Si nous dialoguons, notre rencontre sera plus riche.» Ont ainsi été abordés, au gré des questions, le rôle de ces revues, la guerre en Ukraine et le renouveau spirituel de l’Église.
Cet entretien est diffusé conjointement par toutes les revues jésuites culturelles européennes.
Saint-Père, merci pour cette rencontre. Quel est le sens des revues culturelles de la Compagnie de Jésus? Avez-vous une mission à nous confier?
Pape François: «Il n’est pas facile de donner une réponse claire et précise. En général, bien sûr, je crois que la mission d’une revue culturelle est de communiquer. J’ajouterais cependant: communiquer de la manière la plus incarnée possible, personnelle, sans perdre la relation avec la réalité et les gens, le ‹face à face›. J’entends par là qu’il ne suffit pas de communiquer des idées, il faut des idées qui viennent de l’expérience. C’est cela qui est très important pour moi.
Prenez l’exemple des hérésies, qu’elles soient théologiques ou humaines, car il y a aussi des hérésies humaines. Selon moi, une hérésie survient lorsque l’idée est déconnectée de la réalité humaine. D’où la phrase que quelqu’un a dite -Chesterton si je me souviens bien- que ‹l’hérésie est une idée devenue folle›. Elle est devenue folle parce qu’elle a perdu sa racine humaine.
La Compagnie de Jésus ne doit pas s’intéresser à la communication d’idées abstraites, mais plutôt à la communication des expériences humaines à travers les idées et le raisonnement. Que l’on discute des idées, c’est bien, mais pour moi ce n’est pas suffisant. C’est la réalité humaine qu’il faut discerner. Le discernement est ce qui compte vraiment.
La mission d’une publication jésuite ne peut pas être seulement de discuter, mais elle doit surtout aider au discernement qui mène à l’action. Parfois, pour discerner, il faut jeter une pierre! Si vous jetez une pierre, les eaux s’agitent, tout bouge et vous pouvez discerner. Mais si au lieu de jeter une pierre, vous jetez... une équation mathématique, un théorème, alors il n’y aura pas de mouvement, et donc pas de discernement.
Remarquez que cette affaire d’idées abstraites sur l’humain est ancienne. Elle caractérisait, par exemple, la scolastique décadente, une théologie des idées pures, totalement éloignée de la réalité du salut, qui est la rencontre avec Jésus-Christ. C’est pourquoi une revue culturelle doit travailler sur la réalité, qui est toujours supérieure à l’idée. Et si la réalité est scandaleuse, c’est encore mieux. Par exemple, j’ai récemment rencontré le Groupe de Santa Marta, qui travaille sur la réalité scandaleuse de la traite des êtres humains. Cela nous émeut, nous touche et nous fait avancer. En revanche, les idées abstraites sur l’asservissement des personnes n’émeuvent personne. Nous devons partir de l’expérience et de son récit car la réalité est supérieure à l’idée. Il faut donc donner des idées et des réflexions qui découlent de la réalité.
Lorsque vous entrez dans le seul monde des idées et que vous vous éloignez de la réalité, vous finissez dans le ridicule. Les idées, on en discute, la réalité, on la discerne. Le discernement est le charisme de la Compagnie. À mon avis, c’est son premier charisme et c’est ce sur quoi elle doit continuer à se concentrer, également en soutenant ses revues culturelles. Et celles-ci doivent aider et favoriser le discernement.»
La Compagnie est présente en Ukraine [n.d.l.r.: qui fait partie de la Province de Pologne méridionale]. Nous vivons une guerre d’agression. Nous en parlons dans nos revues. Que nous conseillez-vous pour communiquer sur cette situation? Comment pouvons-nous contribuer à un avenir pacifique?
Pape François: «Pour répondre à cette question, il faut s’éloigner du schéma habituel du Petit Chaperon rouge. Le Petit Chaperon rouge était gentil et le loup était méchant. Ici, il n’y a pas de bons et de méchants métaphysiques, de manière abstraite. Quelque chose de global est en train d’émerger, avec des éléments qui sont très imbriqués. Quelques mois avant le début de la guerre, j’ai rencontré un chef d’État, un homme sage, qui parle très peu… très sage en vérité. Et après avoir parlé des choses dont il voulait parler, il m’a dit qu’il était très préoccupé par la façon dont l’Otan évoluait. Je lui ai demandé pourquoi, et il a répondu: ‹Ils aboient aux portes de la Russie. Et ils ne comprennent pas que les Russes sont impériaux et ne permettent à aucune puissance étrangère de les approcher.› Il a conclu: ‹La situation pourrait conduire à la guerre.› C’était son opinion. Le 24 février, la guerre a commencé. Ce chef d’État a su lire les signes de ce qui se passait.
Ce que nous voyons, c’est la brutalité et la férocité avec lesquelles cette guerre est menée par les troupes utilisées par les Russes, généralement des mercenaires. Les Russes préfèrent, en effet, envoyer des Tchétchènes, des Syriens, des mercenaires. Le danger est que nous ne voyons que cela -qui est monstrueux- et non le drame intérieur qui se déroule à l’arrière-plan de cette guerre, qui a peut-être été, d’une certaine manière, soit provoquée soit non empêchée. Je vois bien qu’il y a là un intérêt à tester et à vendre des armes. C’est très triste mais, dans le fond, c’est ce qui est en jeu.
Quelqu’un peut me dire à ce stade: mais vous êtes pro-Poutine! Non, je ne le suis pas. Il serait simpliste et erroné de dire une telle chose. Je suis simplement contre la réduction de la complexité à la distinction entre les bons et les méchants, sans raisonnement sur les racines et les intérêts, qui sont très complexes. Pendant que nous voyons la férocité, la cruauté des troupes russes, nous ne devons pas oublier les problèmes pour tenter de les résoudre. Il est certes vrai que les Russes pensaient que tout serait terminé en une semaine, mais ils ont fait un mauvais calcul. Ils ont trouvé un peuple courageux, un peuple qui se bat pour survivre et qui a une histoire de lutte.
Je dois ajouter que ce qui se passe actuellement en Ukraine est vu par nous de cette façon parce que c’est plus proche de nous et que cela touche davantage nos sensibilités. Mais il y a d’autres pays très éloignés où la guerre est toujours en cours et dont personne ne se soucie. Pensez à certaines parties de l’Afrique, comme le nord du Nigeria ou le nord du Congo. Pensez au Rwanda, il y a 25 ans. Pensez au Myanmar et aux Rohingyas. Le monde est en guerre. Il y a quelques années, il m’est venu à l’esprit de dire que nous vivions une Troisième Guerre mondiale en morceaux. Là, pour moi aujourd’hui, la Troisième Guerre mondiale a été déclarée. Et c’est une chose qui devrait nous faire réfléchir. Qu’arrive-t-il à l’humanité qui a connu trois guerres mondiales en un siècle? Avec tout le commerce des armes que cela implique!
J’ai vécu la Première Guerre dans la mémoire de mon grand-père sur le Piave [n.d.l.r.: lieu d’une offensive austro-hongroise contre l’Italie, juin 1918]. Et puis la Deuxième et maintenant la Troisième. C’est un mal pour l’humanité, c’est une calamité ! Il y a quelques années, on a commémoré le débarquement de Normandie. De nombreux chefs d’État et de gouvernement ont célébré la victoire. Personne ne s’est souvenu des dizaines de milliers de jeunes gens qui sont morts sur la plage à cette occasion. Lorsque je suis allé à Redipuglia [n.d.l.r.: le plus grand cimetière militaire d’Italie où reposent les corps de plus de 100’000 personnes tuées lors de la Première Guerre mondiale] en 2014 pour le centenaire de la Première Guerre mondiale -je vais vous faire une confession personnelle- j’ai pleuré en voyant l’âge des soldats tombés au combat. Lorsque, quelques années plus tard, le 2 novembre (chaque 2 novembre, je visite un cimetière) je suis allé à Anzio, là aussi j’ai pleuré en voyant l’âge des soldats tombés au combat. L’année dernière, je suis allé dans un cimetière français et les tombes des jeunes hommes -chrétiens ou musulmans, car les Français ont aussi envoyé se battre des gens d’Afrique du Nord- étaient aussi celles de jeunes hommes de 20, 22, 24 ans.
Pourquoi est-ce que je vous dis ces choses? Parce que j’aimerais que vos revues abordent le côté humain de la guerre. J’aimerais qu’elles fassent comprendre le drame humain de la guerre. C’est très bien de faire un calcul géopolitique, d’étudier les choses en profondeur. Vous devez le faire parce que c’est votre travail. Mais il vous faut aussi essayer de transmettre le drame humain de la guerre.
Le drame humain de ces cimetières, le drame humain des plages de Normandie ou d’Anzio, le drame humain d’une femme à qui le facteur frappe à la porte et qui reçoit une lettre la remerciant d’avoir donné un fils à la patrie, qui est un héros de la patrie... Et donc elle se retrouve seule. Réfléchir à cela aiderait beaucoup l’humanité et l’Église. Faites vos réflexions socio-politiques, mais ne négligez pas la réflexion humaine sur la guerre.
Revenons à l’Ukraine. Tout le monde ouvre son cœur aux réfugiés, aux exilés ukrainiens, qui sont généralement des femmes et des enfants. Les hommes sont restés à combattre. Lors de l’audience de la semaine dernière, deux épouses de soldats ukrainiens qui se trouvaient dans les aciéries d’Azovstal sont venues me demander d’intercéder pour qu’ils soient sauvés. Nous sommes tous très sensibles à ces situations dramatiques. Ce sont des femmes avec des enfants, dont les maris se battent là-bas. Des femmes jeunes. Et je me demande, que se passera-t-il lorsque l’enthousiasme pour aider disparaîtra? Quand les choses se refroidiront, qui s’occupera de ces femmes? Nous devons regarder au-delà de l’action concrète du moment, et voir comment nous allons les soutenir pour qu’elles ne tombent pas dans la traite, qu’elles ne soient pas utilisées, car les vautours tournent déjà autour.
L’Ukraine a une longue expérience de l’esclavage et de la guerre. C’est un pays riche, qui a toujours été découpé, déchiré par la volonté de ceux qui voulaient s’en emparer pour l’exploiter. C’est comme si l’histoire avait prédisposé l’Ukraine à être un pays héroïque. Voir cet héroïsme nous touche au cœur. Un héroïsme qui épouse la tendresse! En fait, lorsque les premiers jeunes soldats russes sont arrivés -plus tard, ils ont envoyé des mercenaires- pour effectuer une ‹opération militaire›, comme ils l’ont dit sans savoir qu’ils allaient faire la guerre, ces mêmes femmes ukrainiennes se sont occupées d’eux lorsqu’ils se sont rendus. Une grande humanité, une grande tendresse. Des femmes courageuses. Des gens courageux. Un peuple qui n’a pas peur de se battre. Un peuple qui travaille dur et qui est en même temps fier de sa terre. Gardons à l’esprit l’identité ukrainienne à l’heure actuelle. Je voudrais vraiment insister sur ce point: l’héroïsme du peuple ukrainien. Ce que nous avons sous les yeux est une situation de guerre mondiale, d’intérêts globaux, de ventes d’armes et d’appropriation géopolitique, qui martyrise un peuple héroïque.
Je voudrais ajouter un élément supplémentaire. J’ai eu une conversation de quarante minutes avec le patriarche Kirill [n.d.l.r.: de Moscou et de toute la Russie]. Dans la première partie, il m’a lu une déclaration dans laquelle il donnait des raisons pour justifier la guerre. Lorsqu’il a terminé, je suis intervenu et lui ai dit: ‹Frère, nous ne sommes pas des clercs d’État (chierici di Stato), nous sommes pasteurs du peuple.› Je devais le rencontrer le 14 juin à Jérusalem, pour parler de nos affaires. Mais avec la guerre, d’un commun accord, nous avons décidé de reporter la rencontre à une date ultérieure, afin que notre dialogue ne soit pas mal compris. J’espère le rencontrer lors d’une assemblée générale au Kazakhstan en septembre. J’espère pouvoir le saluer et parler un peu avec lui en tant que pasteur.»
Quels signes de renouveau spirituel voyez-vous dans l’Église?
Pape François: «Il est très difficile de voir un renouveau spirituel à partir de modèles très anciens. Nous devons renouveler notre façon de voir la réalité, de l’évaluer. Dans l’Église européenne, je vois davantage de renouveau dans les choses spontanées qui sont en train de naître: mouvements, groupes, nouveaux évêques qui se souviennent qu’il y a un Concile [le concile Vatican II] derrière eux. Car le Concile dont certains pasteurs se souviennent le mieux est le concile de Trente.
Ce que je dis là n’est pas une absurdité. Le restaurationnisme est venu bâillonner le concile Vatican II. Le nombre de groupes de ‹restaurateurs› -il y en a beaucoup par exemple aux États-Unis- est impressionnant. Un évêque argentin m’a dit qu’on lui avait demandé d’administrer un diocèse qui était tombé entre les mains de ces ‹restaurateurs›. Ils n’avaient jamais accepté le Concile. Il y a des idées, des comportements qui découlent d’un restaurationnisme qui, fondamentalement, n’a pas accepté le Concile. Le problème est précisément celui-ci: dans certains contextes, le Concile n’a pas encore été accepté. Il est vrai qu’il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine. Nous avons encore quarante ans pour lui faire prendre racine!
Mais les signes de renouveau se rencontrent également dans les groupes qui donnent un nouveau visage à l’Église par le biais d’une assistance sociale ou pastorale. Les Français sont très créatifs en la matière. Vous n’étiez pas encore né, mais en 1974 j’ai été témoin du calvaire du Père Général Pedro Arrupe sj lors de la 32e Congrégation Générale [n.d.l.r.: de la Compagnie de Jésus]. À cette époque, il y avait une réaction conservatrice pour bloquer la voix prophétique d’Arrupe! Aujourd’hui, pour nous, ce Général est un saint, mais il a dû subir de nombreuses attaques. Il était courageux, parce qu’il a osé faire un pas en avant. Arrupe était un homme d’une grande obéissance au pape. Et Paul VI l’a compris. Le meilleur discours jamais écrit par un pape à la Compagnie de Jésus est celui que Paul VI a prononcé le 3 décembre 1974. Et il l’a écrit à la main. Il y a les originaux. Le prophète Paul VI a eu la liberté de l’écrire. Par ailleurs, y avait des personnes liées à la curie qui ‹alimentaient› un groupe de jésuites espagnols qui se considéraient comme les vrais ‹orthodoxes› et s’opposaient à Arrupe. Mais Paul VI n’est jamais entré dans ce jeu. Arrupe avait la capacité de voir la volonté de Dieu, combinée à une simplicité enfantine dans son adhésion au pape. Je me souviens qu’un jour, alors que nous prenions un café en petit groupe, il est passé et a dit: ‹Allons-y, allons-y! Le pape est sur le point de passer, saluons-le!› Il était comme un petit garçon! Avec quel amour spontané!
Un jésuite de la Province de Loyola était particulièrement acharné contre le Père Arrupe, rappelons-le. Il a été envoyé en différents lieux et même en Argentine, et a toujours causé des problèmes. Il m’a dit un jour: ‹Tu ne comprend rien. Les vrais coupables sont le Père Arrupe et le Père Calvez [n.d.l.r.: jésuite français, Jean-Yves Calvez a été l’assistant du P. Arrupe]. Le plus beau jour de ma vie sera celui où je les verrai pendus à la potence de la place Saint-Pierre.›
Pourquoi je vous raconte cette histoire? Pour vous faire comprendre ce qu’était la période post-conciliaire. Et cela se produit à nouveau, notamment avec les traditionalistes. C’est pourquoi il est important de sauver ces figures qui ont défendu le Concile et la fidélité envers le pape. Nous devons revenir à Arrupe: il est une lumière de cette époque qui nous illumine tous.
C’est lui qui a redécouvert les Exercices spirituels comme source, se libérant des formulations rigides de l’Épitomé de l’Institut [2], expression d’une pensée fermée, rigide, plus instructive-ascétique que mystique.»
Dans mon pays, la Suède, on ne peut pas dire qu’il y ait une forte tradition religieuse. Comment évangéliser dans une culture qui n’a pas de tradition religieuse?
Pape François: «Il n’est pas facile pour moi de répondre à cette question. J’ai rencontré l’Académie de Suède, qui est le comité de promotion du prix Nobel de littérature. Ils m’ont apporté en cadeau un portrait de saint Ignace qu’ils avaient acheté dans un magasin d’antiquités. C’est une peinture du XVIIIe siècle. J’ai pensé: ‹Un groupe de Suédois m’apporte saint Ignace. Il va les aider!› À dire vrai, je ne sais pas comment répondre à cette question. Car seuls ceux qui vivent là, dans ce contexte, peuvent comprendre et découvrir les bons chemins. Je voudrais toutefois citer un homme qui est un modèle d’orientation: le cardinal Anders Arborelius [n.d.l.r.: évêque de Stockholm]. Il n’a peur de rien. Il parle à tout le monde et ne s’oppose à personne. Il vise toujours le positif. Je pense qu’une personne comme lui peut indiquer la bonne voie à suivre.»
En Allemagne, nous avons un chemin synodal que certains pensent hérétique, mais qui est en fait très proche de la vie réelle. Beaucoup quittent l’Église parce qu’ils ne lui font plus confiance. Un cas particulier est celui du diocèse de Cologne. Qu’en pensez-vous?
Pape François: «Au président de la Conférence épiscopale allemande, Mgr [Georg] Bätzing, j’ai dit: ‹Il y a une très bonne Église évangélique en Allemagne. Nous n’avons pas besoin d’une deuxième›. Le problème se pose lorsque la voie synodale vient des élites intellectuelles, théologiques et qu’elle est très influencée par des pressions extérieures. Il y a des diocèses où le chemin synodal se fait avec les fidèles, avec les gens, lentement.
J’ai décidé d’écrire une lettre au sujet de votre chemin synodal. Je l’ai écrite moi-même, et il m’a fallu un mois pour l’écrire moi-même. Je ne voulais pas impliquer la curie. L’original est en espagnol et le texte en allemand est une traduction. J’y ai écrit ce que je pense.
En ce qui concerne ensuite le diocèse de Cologne, lorsque la situation était très agitée, j’ai demandé à l’archevêque de partir pour six mois afin que les choses se calment et que je puisse voir clair. Parce que lorsque les eaux sont agitées, vous ne pouvez pas voir clair. Quand il est revenu, je lui ai demandé d’écrire une lettre de démission. Il l’a fait et me l’a donnée. Et il a écrit une lettre d’excuses au diocèse. Je l’ai laissé à sa place pour voir ce qui se passerait, mais j’ai sa démission en main.
Ce qui se passe, c’est qu’il y a beaucoup de groupes de pression, et sous la pression, il n’est pas possible de discerner. Ensuite, il y a un problème économique pour lequel je pense envoyer une visite financière. J’attends qu’il n’y ait pas de pression pour discerner. Le fait qu’il y ait différents points de vue est une bonne chose. Le problème, c’est quand il y a des pressions. Cela n’aide pas. Je ne pense pas cependant que Cologne soit le seul diocèse au monde où il y ait des conflits. Et je le traite comme n’importe quel autre diocèse dans le monde qui connaît des conflits. Je peux en citer un qui n’a pas encore mis fin au conflit: Arecibo à Porto Rico, et ce depuis des années. Il y a beaucoup de diocèses comme cela.»
Saint-Père, notre magazine numérique s’adresse également aux jeunes qui sont en marge de l’Église. Les jeunes veulent des opinions et des informations rapides et immédiates. Comment pouvons-nous les initier au processus de discernement?
Pape François: «Il ne faut pas rester immobile. Lorsque nous travaillons avec des jeunes, nous devons toujours donner une perspective en mouvement et non une perspective statique. Nous devons demander au Seigneur d’avoir la grâce et la sagesse de nous aider à prendre les bonnes mesures. À mon époque, le travail avec les jeunes consistait en des réunions d’étude. Maintenant, ça ne fonctionne plus comme ça. Nous devons les faire avancer avec des idéaux concrets, des actions, des chemins. Les jeunes trouvent leur raison d’être en cours de route, jamais de manière statique. Certains d’entre nous peuvent être hésitants parce qu’ils voient des jeunes sans foi, ils disent qu’ils ne sont pas dans la grâce de Dieu. Mais que Dieu s’occupe d’eux! Votre tâche consiste à les mettre en route. Je pense que c’est la meilleure chose que nous puissions faire.
Désolé d’avoir été trop long, mais je voulais mettre l’accent sur l’après-Concile et sur Arrupe, car le problème actuel de l’Église est précisément la non-acceptation du Concile.»
La réunion s’est terminée par une photo de groupe. Le pape a ensuite de nouveau salué les participants un par un, en leur remettant à chacun un chapelet et quelques livres dans leurs langues respectives.
Propos recueillis par la Civiltà Cattolica,
traduction de l’italien par François Euvé sj, avec l’aide d’Erwan Chauty
Cette rencontre avec le Souverain Pontife a marqué le début de la réunion annuelle des directeurs ou rédacteurs·trices en chef de revues culturelles jésuites européennes. Dix personnes étaient présentes: Stefan Kiechle sj (Stimmen der Zeit, Allemagne), Lucienne Bittar (choisir, Suisse), Ulf Jonsson sj (Signum, Suède), Jaime Tatay sj (Razón y fe, Espagne), José Frazão Correia sj (Brotéria, Portugal), Paweł Kosiński sj (Deon, Pologne), Arpad Hovarth sj (A Szív, Hongrie), Robert Mesaros (Viera a život, Slovaquie), Frances Murphy (Thinking Faith, Royaume-Uni) et Antonio Spadaro sj (Civiltà Cattolica, Italie). Trois de ces responsables, dont deux femmes, sont des laïcs, les autres sont jésuites. François Euvé sj (Études, France) était présent à la rencontre mais n’a pas pu participer à l’audience du pape. Dermot Roantree (Studies, Irlande) et Eirini Koutelaki (Anikhti orizontes, Grèce) ont été retenus dans leur pays. Parmi ces revues, trois d'entre elles font partie de la Province des jésuites d'Europe centrale: choisir, Signum et Stimmen der Zeit.