À l’origine de cette programmation très féminisée, on trouve Briana Berg, qui lie ainsi ses intérêts pour la spiritualité et la cause des femmes, avec une mise en avant de leurs productions artistiques. Mais quelle est la pertinence de ce thème du point de vue spirituel? Les femmes réalisatrices ont-elles vraiment une approche spécifique sur la question?
Briana Berg: «Beaucoup de femmes décrivent les difficultés rencontrées dans le milieu du cinéma parce qu’elles sont des femmes. Chaque année, quand je travaillais sur la programmation d’Il est une foi, je me disais: «On n’a quasiment pas de films faits par des femmes» ou «Les protagonistes principaux sont des hommes». Mon impulsion première était donc de renforcer la présence de films réalisés par des femmes dans notre programmation; puis nous sommes allés plus loin en centrant la thématique sur la spiritualité féminine. Notre axe n’est pas de la comparer à la spiritualité masculine, mais de montrer diverses manières féminines d’exprimer la spiritualité, dans des époques, des contextes et des pays différents. Ce qui devrait en ressortir, c’est la variété des expériences spirituelles et les obstacles rencontrés dans ces différents cheminements.
»On va montrer par exemple Marie Madeleine [1], un film américain sorti l’année dernière, qui a certains défauts, notamment une vision un peu manichéenne, mais qui présente la place des femmes au temps de Jésus et dans sa vie. Le réalisateur montre un Jésus qui prône un regard différent sur les femmes, qui les appelle au prophétisme, à la mission, alors que la Bible semble proposer aux femmes un rôle de soumission avant tout. Or, selon les traductions, il y a d’autres manières d’interpréter la Bible. On s’est ainsi mis en lien avec les auteurs d’Une Bible des femmes [2], un livre paru en 2018, qui est le fruit d’une vingtaine de théologiennes catholiques et protestantes. Les initiatrices du projet et éditrices principales, Elisabeth Parmentier et Lauriane Savoy, interviendront après la projection du film.»
Patrick Bittar: Et concernant les approches spirituelles de cultures différentes?
«C’est une chose que j’aime particulièrement, de pouvoir élargir l’éventail à d’autres cultures, d’autres croyances: on a des films de Corée du Sud, du Japon, sur le Liban, de Pologne, d’Italie, de France, du Danemark…et un très beau film du Bhoutan, Dakini (2016), réalisé par une femme. Sa projection sera suivie de l’intervention d’Agathe Chevalier, responsable du Centre d’étude du bouddhisme tibétain de Genève. Les dakinis représentent des divinités féminines dans le bouddhisme ou des démons femelles dans l’hindouisme. Le personnage principal du film est une femme, dont on ne sait jamais si elle est un être humain, avec ses pouvoirs propres de femme (donner la vie, l’intuition…), ou un esprit, positif ou maléfique.
»Dans La forêt de Mogari (2007), de la japonaise Naomi Kawase, des éléments de la spiritualité shinto sont exprimés de manière plus indirecte. La forêt y occupe le rôle principal. Par son caractère sacré, elle permet à deux êtres de faire leur travail de deuil. J’aimerais encore citer Daughters of the Dust (1991), dont Christelle Ringuet, chargée de cours sur le Cinéma afro-américain à Paris VIII, viendra parler. Ce film n’est jamais sorti en France, et a été distribué aux États-Unis de manière confidentielle. Pourtant, selon moi, c’est vraiment le film-phare de cette édition. Je l’ai même sous-titré. Il porte sur la spiritualité des Gullahs, un peuple d’Afrique de l’Ouest amené en esclavage sur des îles au large de la Caroline du Sud. Cet isolement a permis à leurs descendants de garder leurs croyances, leur langage... Julie Dash, la réalisatrice, est issue de ce peuple de manière éloignée. L’histoire est racontée par un enfant qui n’est pas encore né. C’est celle d’une famille matriarcale qui doit partir pour le continent américain. C’est un adieu à la terre des ancêtres et à ceux qui restent. Il y a beaucoup d’images de rituels.»
[1] Voir la critique de ce film par Julien Lambert sj, Un évangile féministe
[2] Voir la recension de ce livre par Pascal Gondrand, Une bible des femmes
une soirée cinéma parrainée par choisir, dimanche 12 mai, à 20h
Briana Berg: «On est en Pologne, dans les années 60. Une jeune novice va bientôt prononcer ses vœux. Orpheline, elle a toujours connu le couvent, et elle a une foi très belle et simple. Mais sa vocation religieuse est remise en question de manière inattendue. La vie la jette dans le monde et lui met des obstacles, comme pour tester sa foi. Ida rencontre sa tante et apprend qu’elle est juive et qu’elle a survécu à la Seconde Guerre mondiale parce qu’elle était petite et «pas foncée», comme dit le paysan qui a eu pitié d’elle et l’a amenée au couvent. Ida n’a pas de rancune. Elle cherche à comprendre. Cela permet au spectateur d’accueillir cette histoire, malgré son horreur.»
Patrick Bittar: Et il y a sa rencontre avec un jeune musicien…
«En fait, Ida a cette chance de pouvoir tester le monde dans sa complexité avant de choisir. C’est un film réconciliateur, même si le réalisateur a dit qu’il serait en Pologne sur une liste noire de films à ne pas soutenir. C’est ce que veut montrer Il est une foi au travers sa programmation: que chaque être humain a des ressources et le choix de ses actes.»
La projection du film sera suivie d’une discussion avec Lucienne Bittar, rédactrice en chef de choisir, et Nathalie Sarthous-Lajus, rédactrice en chef adjointe d’Études. Modérateur, Patrick Bittar, notre chroniqueur cinéma.
Il est une foi, du 8 au 12 mai 2019, aux Cinémas du Grütli, à Genève
Tout le programme ici