samedi, 06 février 2010 11:00

La force du réseau

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Le séisme de Haïti est la plus grave catastrophe naturelle à laquelle les Nations Unies ont eu à faire face du fait de la disparition de la structure gouvernementale du pays, a estimé le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, le 17 janvier. La plupart d'entre nous ont été glacés par le cataclysme qui s'est abattu sur Port-au-Prince. La force des images a touché le monde, nous laissant dans un premier temps hébétés, révoltés, angoissés. Plongés subitement nous aussi dans cette réalité si cruelle de la mort. Tous ceux qui ont connu la douleur d'un deuil (séparation, chômage, exil, décès d'un proche?) ont ressenti dans leur ventre les cris de désespoir d'orphelins et sur leurs épaules le poids des maisons écrasées. Devant nos écrans, nos journaux, l'impuissance de notre condition humaine nous a pour un temps broyés. Comment les Haïtiens vont-ils survivre, reconstruire leur ville sans gouvernement ? Et surtout, comment pourront-ils se remettre de leur douleur, se relever ?

Très vite une lumière a surgi. L'aide internationale a été lancée, réveillant en nous, frères et soeurs des Haïtiens, le désir d'agir, pour sauver d'abord, pour aller au plus urgent, puis pour reconstruire. Il y a là le secret de la force de la vie (avec une majuscule pour nous autres, chrétiens).[1] De tout temps, l'homme a été habité par cette énergie puissante qui le pousse à quitter un pays pour chercher une terre plus hospitalière, à reconstruire sa maison détruite par un tremblement de terre ou un bulldozer, à procréer malgré sa misère et les catastrophes climatiques prophétisées, à inventer de nouvelles technologies... Et surtout, à écouter les autres pour apprendre. Mystérieux instinct de vie, sans lequel nous ne serions plus.

Ce désir de mouvement a son revers : l'appel à avancer peut se confondre avec la soif de pouvoir ou avec une hyper-activité non fructueuse. La lucidité n'est pas évidente ! Comment nous y retrouver ? Le Christ a clairement ouvert la voie. La compassion, la justice, l'humilité, il les a prêchées, mais surtout il les a mises en pratique. « Le pauvre est au coeur de la prédication de Jésus, et plus profondément encore au coeur de l'Incarnation », rappelle dans cette édition Jean-Michel Poffet.[2] Et la justice est au coeur de la foi : les prophètes de l'Ancien Testament le proclamaient déjà. Aussi Jésus a-t-il choisi comme amis de simples pêcheurs, il a partagé son repas avec des foules affamées, il a guéri le paralytique, l'aveugle et bien d'autres. Il n'a pas abandonné à leur sort ceux qui faisaient appel à lui. Il aurait pu, écrasé par l'ampleur de la tâche, baisser les bras. D'autant plus qu'il savait que la justice n'est pas atteignable sur Terre. Mais il a opté pour l'action bâtie sur un amour du prochain plus fort que l'amour de soi. Et pour que ce soit tout de même un peu plus efficace, il a mis en place un réseau. Il a formé des disciples pour qu'ils aillent eux aussi guérir, porter la bonne nouvelle. Une longue chaîne s'est créée, aujourd'hui encore vivante, porteuse de mémoire et d'actions concrètes. La vie de Charles de Foucauld rappelle, à travers le temps, la force de l'exemple.[3] Frère Charles avait pris le Christ pour modèle, ce qui l'avait amené à aller vers les pauvres, à ouvrir son coeur aux Touaregs, à les accueillir dans leurs différences. Il était toujours prêt à apprendre des autres, à accepter de revisiter ses convictions.

La Campagne oecuménique de carême, qui a démarré, défend cette philosophie. « Misons sur un commerce juste » est plus qu'un slogan. C'est un refus de la « lassitude » que la répétition des drames peut engendrer. C'est un appel à une conversion de nos habitudes, à imaginer et pratiquer une troisième voie, celle de l'économie sociale et solidaire.[4] On ne nous demande pas de tout lâcher, comme Charles de Foucauld ou comme le jeune homme riche qui voulait suivre Jésus, mais en tant que chrétiens, nous sommes invités à agir pour soutenir nos frères et soeurs dans le besoin, dans la mesure de nos moyens. Face à la catastrophe d'Haïti, la Conférence des évêques suisses a appelé chacun d'entre nous à aider selon ses possibilités : par un don et par la prière. Deux voies qui forment un ensemble pour le chrétien. Elles se rattachent toutes deux à des réseaux qui potentialisent son efficacité : celui des oeuvres d'entraide et de toutes les ONG travaillant sur le terrain, et celui de la Communion des saints.

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