Le 12 janvier dernier, une multitude de reportages, d'analyses et d'éditoriaux, tous plus pessimistes les uns que les autres, ont déploré la situation désastreuse qui prévaut encore à Haïti, un an jour pour jour après le séisme dont les images, à force de répétition, n'attirent même plus notre regard. La mauvaise conscience, l'impuissance, les lenteurs de l'aide internationale sont-elles coupables d'incurie ? A lire la presse, on pouvait ne retenir de ce désastre qu'une seule conclusion : envoyer davantage de soldats sur le terrain pour éviter les pillages ! En d'autres termes, les victimes deviennent des coupables, des voleurs, des vauriens. Rares furent les voix qui s'élevèrent pour constater, avec Ricardo Seitenfus, chef de Bureau de l'Organisation des Etats américains à Port-au-Prince : « Haïti est le concentré de nos drames et de nos échecs de la solidarité internationale? » Une parole forte qui valut à son auteur le rappel à l'ordre de son employeur. Aurions-nous pris la même décision ?
Peut-être ! Sans nier que, dans l'exemple cité, l'Etat soit pillé par des prédateurs intérieurs qui n'ont pas perdu les leçons de la dictature et qui volent le peuple, la solidarité est un enjeu majeur de notre temps. A cet égard, il me paraîtrait injuste de sombrer dans le pessimisme absolu. L'esprit de solidarité, les moyens engagés dans la lutte contre la grande précarité, les personnes disposées à donner de leur temps et de leurs moyens aux grandes causes internationales ou locales n'ont point disparu. Au contraire, et pour ne citer qu'un exemple, l'excellente revue Sciences sociales constate dans sa dernière édition (février 2011) un « Retour de la solidarité » sous ses formes les plus variées. Si certains « philanthropes planétaires » se font remarquer par les milliards de dollars investis aux quatre coins de la planète pour des programmes de soins, d'éducation ou d'équipements, la générosité relève en majeure partie soit de petites gens, soit de personnes qui, tournant le dos à des situations prestigieuses ou fort lucratives, se découvrent le devoir altruiste de s'engager pour alléger le poids des injustices de l'ordre économique mondial.
Face à la violence de l'égoïsme, la vocation du partage n'est pas morte. On m'objectera peut-être que les largesses soulagent la conscience sans renoncer pour autant à des motifs égoïstes, par exemple la reconnaissance sociale, la bonne opinion des gens d'Eglise, voire un coup de chapeau à la télévision ou dans le journal local ! Tout cela est vrai. Mais il serait profondément injuste de ne pas citer la multitude des bénévoles sans lesquels aucune société ne fonctionnerait.[1] D'autre part, les innombrables organisations d'entraide, de coopération, d'éducation et de santé auraient perdu leur vitalité et leur crédibilité si elles n'étaient que les vertueuses façades de la bonne conscience. A côté des services publics, la coopération volontaire au bien-être commun, indépendante du pouvoir politique et de la frénésie consommatrice, est un rouage essentiel de notre société. Elle n'est pas pour autant déconnectée d'une réelle intelligence des mécanismes financiers. Promouvoir le commerce équitable n'exclut pas, notamment, la gestion rigoureuse des choix économiques. La justice sociale n'a rien à voir avec des visions romanesques du développement solidaire.
Dans le milieu chrétien, le calendrier liturgique est souvent mis à contribution pour stimuler les consciences. Les campagnes de l'Avent ou du Carême sont particulièrement fastes ! Il ne s'agit pas d'un attrape-nigaud. Le temps de la prière est inséparable, plus que jamais, du devoir de la justice, lui-même inscrit dans l'esprit des religions. Je découvrais récemment le thème des prochaines Journées mondiales de la jeunesse à Madrid (16-21 août 2011) : Enracinés dans le Christ, affermis dans la foi. Très bien. Dommage toutefois de n'avoir pas ajouté : ...et plus solidaires de l'humanité ! L'annonce de l'Evangile n'aurait rien perdu de sa richesse.