mardi, 01 décembre 2015 09:37

Noël perverti ?

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« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime. » Toute la tendresse du Ciel pour l’humanité est comme ramassée dans le chant des anges. Un message qui ne cesse de ravir ceux et celles qui aspirent à la paix comme au suprême bonheur. Si le mystère de l’Incarnation et de la naissance de Jésus interpelle de moins en moins l’ensemble de la société, l’annonce de la paix ne laisse personne indifférent. Une fois l’an, elle vient réveiller une aspiration qui sommeille dans le fond insondable des inconscients, plus tenace que les croyances et les enseignements des Eglises.

Qui se hasardera cette année à reprendre le chant des anges risque bien d’encourir le reproche d’ignorer la situation dramatique dans laquelle se débat un monde déglingué de toutes parts. Seriez-vous myope au point de confondre les drones tueurs avec des anges chanteurs ? Le silence de cette nuit d’exception ne serait-il pas celui du vaste cimetière méditerranéen où gisent par milliers des hommes, des femmes et des enfants partis à la recherche de la paix ? La folie meurtrière des récents attentats, la rapacité des marchands d’armes, la comédie des instances internationales, la foule immense des réfugiés qui se désespèrent derrière les barbelés et les murs dénoncent vos anges et leurs chants de paix comme une plaisanterie de mauvais goût.

Que Noël ne soit parfois qu’une mise en scène hollywoodienne, il faut en convenir. Les vitrines, les lumières, les arbres ruisselants de lumière et de paillettes, et les pères Noël made in USA, hilares et bambochards, s’efforcent de vous entraîner dans le rêve pour vous faire oublier que « tout est truqué », pour reprendre l’expression indignée du pape François. Mais à ceux qui auraient oublié leur catéchisme ou qui n’auraient jamais lu une seule ligne de l’Evangile, qu’il soit permis de rappeler que le chant des anges a résonné dans un Ciel aussi noir que le nôtre, et sur une Terre pas moins tourmentée que celle que nous habitons.

A l’époque, la Palestine était humiliée et pillée, occupée militairement, morcelée et colonisée par des roitelets à la solde d’une puissance étrangère. La religion, ce refuge des pauvres et des petits, était le terrain d’affrontement de partis adverses, en mal d’influence politique ou de pouvoir doctrinal ; le commerce et l’argent avaient porté la corruption jusque dans le Temple ; empêtrées dans des mouvements nationalistes et triomphalistes, les élites trahissaient le peuple. Rien de bien nouveau sous le soleil... Les anges s’adressaient à des bergers qui étaient des hommes de mauvaise réputation, méprisés et mal socialisés. On les tenait pour des gens malhonnêtes, des brigands même parfois, de toute façon pour des marginaux dont il fallait se méfier et qu’il valait mieux tenir à distance pour protéger la société des honnêtes gens. Le Talmud de Babylone les cite en compagnie des collecteurs d’impôts et des publicains, pour lesquels il est difficile de faire pénitence !

La paix que les anges leur annoncent est un don de Dieu, un bonheur fondé sur la justice. Elle est l’état de celui qui vit en harmonie avec lui-même, avec Dieu et les autres. Elle est l’assurance que Dieu aime les hommes, les petits surtout, les pauvres, ceux et celles qui souffrent physiquement, socialement et moralement : la reconnaissance de leur dignité envers et contre tout. Elle implique la délivrance de tout ce qui opprime, marginalise, prive, empêche de vivre pleinement. La bonne santé, la sécurité, l’intégration sociale, la concorde et la confiance mutuelle suivront, comme les fruits de la paix promise.

Rêve ou réalité ? Les anges, qui n’habitent pas les contes de fées, ont envoyé les bergers à la bonne adresse, vers un lieu bien concret, inscrit dans l’histoire de l’humanité, un berceau dans lequel repose un enfant dont le nom signifie Le-Seigneur-sauve, Jésus. Autour de cette naissance, les bergers se sont retrouvés en compagnie de la foule immense de ceux et celles qui aspirent à la paix et à la justice : blessés de la vie, victimes de la violence aveugle, réfugiés parqués dans les camps ou les ghettos urbains, pécheurs à la conscience trop lourde, Samaritains et publicains d’autrefois et d’aujourd’hui. Destinataires du chant des anges, ils l’ont porté plus loin en criant Paix ! par-dessus les frontières, les barbelés et les murs dressés pour étouffer leur cri. Qui l’entendra pourra le reprendre à son tour sans encourir le reproche de participer à une plaisanterie de mauvais goût.

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