mercredi, 01 juin 2016 15:17

Pour le bien de tous

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Il y a un an, au printemps, je me rendais au nord de la Grèce, dans le port de Kavala, anciennement Néapolis, là où Paul, pour la première fois, foula le sol européen. Avec mes compagnons, nous avons relu le récit des Actes des apôtres où Luc raconte comment « une nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut, debout, qui lui faisait cette prière : “Passe en Macédoine, viens à notre secours !” A la suite de cette vision de Paul, nous avons immédiatement cherché à partir pour la Macédoine » (Ac 16,9-10). Ainsi, em­barqué avec ses compagnons à Troas sur la côte asiatique, passant près de Lesbos et de Samothrace, Paul débarqua le surlendemain à Néapolis en Europe, pour y annoncer la Bonne Nouvelle.

Ce récit des Actes m’accompagna comme une parabole durant tout l’été et les mois suivants, lorsque des dizaines de milliers de migrants, à la suite d’autres vagues, venant de la Turquie ou par d’autres voies, abordèrent sur les côtes sud de l’Europe. Le Macédonien, c’est-à-dire l’Européen du rêve de Paul, changea alors de visage et de posture. Se raidissant sous l’effet de peurs alimentées par des stéréotypes, ou par des politiques ignorantes parfois du destin de très nombreux migrants, il vint à crier à ces exilés : « Eloignez-vous de nos côtes ! », même lorsqu’il en vit des centaines disparaître dans la mer. Puis, après l’émotion, l’indifférence reprit le dessus.

Une autre lecture du rêve de Paul peut s’imposer. En se libérant de la crainte, l’Europe et la Suisse pourraient s’approprier les valeurs des hommes et des femmes venus d’outre Méditerranée, pour ne pas rester barricadées dans une culture, avec ses préjugés et ses limitations. Lors d’une visite au Centro Astalli du Service jésuite des réfugiés (JRS), à Rome, en janvier de cette année, le Père général Adolfo Nicolás sj a déclaré : « Chaque pays court le risque de s’enfermer à l’intérieur d’horizons très limités, très petits, alors que, grâce aux migrants, notre cœur ainsi que notre pays peuvent s’ouvrir à de nouvelles dynamiques. »

En ce sens, les migrants nous apportent eux aussi le Salut ! Car « ils peuvent nous aider à ouvrir notre cœur, à devenir plus grands que nous-mêmes », a poursuivi le Père Nicolás. Ils ne sont donc pas simplement des hôtes ou des quémandeurs, mais « des personnes qui peuvent apporter leur contribution à la vie civique et fournir un apport considérable à la culture et à son évolution profonde ».1 En Suisse, Christoph Albrecht sj, du JRS, a participé l’an dernier à la rédaction de la première Charte de la migration. Il souligne qu’il faut cesser « de penser l’immigration comme un fléau. Dépenser pour ériger des barrières physiques et morales est un non-sens. In­vestissons dans les solutions d’intégration, de formation, de rapprochement entre les cultures. Pour le bien de tous. »

Ici, chez nous, des rencontres de loisirs, le temps d’une marche, d’un repas ou d’une célébration par exemple, avec des migrants de Syrie ou d’autres pays, nouent des liens et permettent d’entretenir des échanges amicaux qui enrichissent les uns et les autres. « Les migrants nous font voir l’humanité sous son aspect le plus faible, mais aussi le plus fort, a dit encore le Père Nicolás. Le plus faible, parce qu’ils ont connu la peur, la violence, la solitude et les préjugés des autres (...) Mais ils nous montrent aussi la face la plus forte de l’humanité : ils nous font comprendre comment on peut surmonter la peur en trouvant le courage de courir des risques que tous ne sont pas en mesure de prendre. »

Ainsi le rêve de Paul et l’appel du Macédonien revisités peuvent éclairer notre actualité. Ils nous apprennent à rester humains malgré tout.

[1] • Lire l’intégrale de cette allocution sur www.jesuites.ch, rubrique news / réseau jésuite. (n.d.l.r.)

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