A Quito, jouant habilement sur le terrain mixte de l’engagement social, politique et religieux, le pape, au cours d’une messe géante devant plus d’un million de personnes, a invité les fidèles à faire la révolution. Au cri de l’indépendance et de la liberté lancé il y a 200 ans[3] doit correspondre le cri de l’Evangile : « Evangéliser est notre révolution, parce que notre foi est toujours révolutionnaire. » Et d’exhorter chacun à travailler au grand processus de changement, à devenir un artisan de la réforme sans sous-estimer ses propres ressources et responsabilités. Le pape François indique le chemin : sortir de son individualisme, pour développer une culture de la rencontre et de la solidarité par un dialogue sans tabous, parce qu’une foi qui ne débouche pas sur la solidarité est une foi morte ou mensongère.[4] Qu’il s’agisse de la doctrine sociale de l’Eglise ou de la vie chrétienne en général, le pape n’use pas d’un langage dogmatique, mais reprend avec constance une série d’idées directrices qui ne laisse aucun doute sur ses intentions : l’écoute du peuple et de ses aspirations comme lieu de discernement, le refus de toute dictature aussi bien en politique que dans l’Eglise, l’esprit de service et de gratuité comme principe de gouvernement, l’attention aux pauvres et aux petits, l’accueil et le dialogue sans conditions plutôt que l’argumentation et la polémique.
Ces thèmes ne sont pas nouveaux. Dans sa première exhortation apostolique déjà (La Joie de l’Evangile),[5] le pape François dessinait clairement les lignes directrices du nouveau pontificat. Réaffirmées avec insistance au cours de ce dernier voyage, elles prennent encore plus de relief, comme si le contexte sud-américain leur servait de révélateur. Mieux affranchie de son passé, l’Amérique latine fait preuve d’une souplesse et d’une capacité d’innovation supérieure à celle du Vieux Continent, qui peine à se libérer de ses structures et de ses dogmes obsolètes. La tension entre les aspirations démocratiques des peuples et les prétentions autocrates de certains dirigeants, le contraste plus vif entre les immenses zones de pauvreté (favelas) et l’arrogance d’un capitalisme pur et dur, la demande de pardon pour les offenses de l’Eglise et les crimes contre les peuples autochtones lors de la conquista, la relecture de l’histoire du salut par la théologie de la libération, la force et le dynamisme des mouvements populaires et le poids démographique de la jeunesse font de l’Amérique latine un vaste laboratoire des défis que le XXIe siècle adresse non seulement à l’Eglise catholique mais au monde vieillissant.
[1] • Cf. discours du pape François, aux participants à la 2e Rencontre mondiale des mouvements populaires (Santa Cruz de la Sierra, 9 juillet 2015).
[2] • Réforme des structures financières du Vatican ; réforme du gouvernement central avec l’institution du conseil des cardinaux (G9) ; simplification et réorganisations des dicastères romains…
[3] • L’Amérique latine célèbre cette année le 200e anniversaire des mouvements d’indépendance.
[4] • Pape François, op. cit.
[5] • Evangelii gaudium, Rome, novembre 2013, 164 p.