mardi, 02 juin 2015 16:05

Myopie médiatique

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L’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo a mobilisé les foules et aiguisé les appétits politiques. Se serrant les coudes, toutes divergences abolies le temps d’une impressionnante manifestation, ce beau monde faisait montre de courage en proclamant haut et fort : « Nous sommes Charlie ». Aussi ambiguë qu’émouvante, la réprobation a paru universelle ou tant s’en est fallu. A en croire les déclarations de circonstance, plus que le triste sort des caricaturistes assassinés, c’est surtout la menace contre la liberté d’expression qui a rassemblé, en une même proclamation de foi, des groupes si différents (jusqu’aux marchands d’armes et aux praticiens de la censure qui n’ont pas manqué de se précipiter au premier rang). Les victimes devenaient le symbole d’un droit fondamental de la personne qui ne saurait être mis en péril par le fanatisme.

En Irak, en Syrie, au Pakistan, en Libye, en Egypte, en Inde, en Centrafrique, au Kenya, au Soudan et au Nigeria, des millions d’hommes et de femmes sont assassinés, torturés, dépossédés, exilés pour le seul fait d’être chrétiens. Contrairement à ce qui s’est passé à Paris, les droits fondamentaux visés par la persécution religieuse mobilisent moins les médias que le sort des victimes. Certes, la souffrance de celles-ci ne peut laisser insensible. Les médias s’en émeuvent et les œuvres d’entraide ne les abandonnent pas. Les assassinats et les spoliations sont condamnés, l’horrible mise en scène des égorgements est unanimement réprouvée et l’avancée des troupes fanatiques suivie avec angoisse. Cependant, l’enjeu de la persécution semble laisser les chroniqueurs de marbre ou du moins leur échapper : les valeurs en jeu, la liberté de conscience et la liberté religieuse, le droit d’une personne à disposer de son propre destin au nom d’une conception transcendante de l’existence humaine ne suscitent guère de débats dans les médias. Le pape François a dénoncé « un silence complice ».

Que peut bien cacher cet apparent désintérêt ? Une question de sensibilité et d’appréciation. A en croire les slogans et les discours officiels, les foules se sont mobilisées à Paris au nom de la liberté d’expression menacée par les tueurs. Dans le cas des persécutions religieuses actuelles, l’opinion publique et les médias semblent plus sensibles au sort des victimes - et parfois à celui du patrimoine de l’UNESCO - qu’aux valeurs menacées par le fanatisme : la liberté de conscience et la liberté religieuse. Faut-il y reconnaître, une fois encore, l’inquiétant symptôme d’une sensibilité émoussée face aux valeurs transcendantales ? Comme si la société, confinée dans un horizon borné, sans débouché vers une instance supérieure, était en train de perdre son âme.

Toujours plus sensible à la moindre atteinte contre les droits humains qui garantissent les libertés fondamentales de la vie en société, l’opinion publique se réveille à la moindre menace pour défendre l’héritage des Lumières. A bon droit, certes ! Mais en reléguant au même moment la liberté de conscience et la liberté religieuse dans la sphère strictement privée, au rang des choix personnels, telle une simple question de goût ou d’éducation, elle prive la liberté d’expression du référent supérieur qui la protège contre l’arbitraire des censeurs. Dangereuse myopie qui ne voit pas que face aux intérêts partisans, aux modes et aux passions, la liberté d’expression trouve sa justification dans la liberté de conscience.

Qui prétend garantir l’inviolabilité des libertés fondamentales en enfermant la société dans un monde immanent ressemble au ba­ron de Münchhausen qui se tirait par les cheveux pour s’extraire du bourbier dans lequel il s’enfonçait inexorablement.

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