Jacques Gauthier
Dix attitudes intérieures
La spiritualité de Thérèse de Lisieux
Novalis, Cerf 2013, 180 p.
Alors que la carmélite Thérèse de Lisieux, docteur de l’Eglise depuis 1997, n’a pas laissé de système théologique ou de traité spirituel où seraient décrites les différentes étapes de la montée vers Dieu, l’auteur de ce livre nous offre cinq caractéristiques de la « théologie de Thérèse » : spirituelle, pratique, narratrice, existentielle et « espérante ».
Il relève que l’autobiographie, écrite à la demande de sa supérieure,[1] dévoile un « Je » (libre) et un « Tu » (Jésus), jusqu’à ce qu’elle devienne « un » en Jésus, tout en restant elle-même. Thérèse, tributaire de son temps, d’une époque qui n’est de loin pas la nôtre, nous parle pourtant ainsi profondément.
Se plonger dans la biographie d’Orson Welles, qui aurait eu 100 ans le 6 mai s’il avait survécu, est proprement fascinant. Cet artiste a vécu nombre de vies invraisemblables. Ses exploits d’enfant à eux seuls valent le détour. Ne déclara-t-il pas lui-même, qu’enfant, il voulait échapper à l’enfance, mais qu’une fois celle-ci quittée, il ne cessa d’y retomber… Comment parler alors de ce personnage incontournable et haut en couleurs du cinéma américain, sans tomber dans la surenchère ou la démesure ? Notre chroniqueur cinéma Patrick Bittar s’y essaye. Un article paru dans le numéro de mai de choisir, à déguster ici.
Orson Welles combinait le sens artistique de sa mère, une pianiste de concert, et le côté intrépide et visionnaire de son père, un inventeur farfelu qui aimait voyager. Il disait : « Les cinéastes passent trop de temps dans les salles obscures. Moi, pour être heureux, j’ai besoin de me sentir comme Christophe Colomb, j’ai envie de découvrir l’Amérique. Les bonnes choses devraient être DÉCOUVERTES, dans cet esprit de la première fois. Dès que je mets le pied sur un plateau, j’ai envie d’y planter un drapeau. Or plus j’en sais sur les découvertes audacieuses qui m’ont précédé, plus mon drapeau me paraît ridicule... »
Joseph Moingt, Croire au Dieu qui vient. T1. De la croyance à la foi critique. Essai, Paris, Gallimard 2014, 612 p.
Le beau titre Croire au Dieu qui vient, modestement dénoté essai, constitue le point d’aboutissement d’une œuvre théologique exceptionnellement longue. Commencée il y a un demi-siècle par l’étude sur la Trinité du premier théologien d’expression latine, le nord-africain Tertullien, elle s’est poursuivie vingt-cinq ans plus tard par L’homme qui venait de Dieu (1993), centrée sur la christologie, c’est-à-dire l’expression de la foi ecclésiale sur Jésus-Christ, puis, dix ans plus tard, par une trilogie sur la Trinité (2002-2007), Dieu qui vient à l’homme.
Armé, Philippe Sollers, mais contre quoi ? Contre la bêtise et la technologie. Contre l’envahissement, la colique d’informations, le bavardage intempestif. Le téléphone portable a transformé le monde en une immense cabine téléphonique en plein air, en une vaste loge de concierge. Faut-il répondre à ce bavardage par d’autres mots, fussent-ils spirituels, cinglants ou frappés au coin du plus cartésien des bons sens ? Peine perdue. Vous ne serez pas entendu. Fuir à l’autre extrémité du monde ? Le monde n’a plus d’extrémités. Il est le même partout. Sa transparence est absolue.
Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan
Aydin, comédien à la retraite, tient l’Othello, un petit hôtel en Anatolie centrale. Il tire également des revenus d’autres biens immobiliers, qu’il loue depuis toujours à quelques familles pauvres du coin. A mesure que l’hiver s’installe, le notable local se trouve confronté à l’hostilité sourde de certains habitants, et, à l’intérieur de l’hôtel qui se vide, aux reproches perçants de sa sœur Necla et de sa jeune épouse Nihal. La première était venue se réfugier à l’Othello après son divorce. La seconde s’était lancée dans l’aide humanitaire de proximité pour ne pas sombrer dans la dépression.
Dans son septième film, Nuri Bilge Ceylan fait preuve de la maîtrise plastique qui lui est coutumière. Mais les trois heures de Winter Sleep sont d’une densité et d’une plénitude qui en font son œuvre la plus aboutie : comme dans un roman de Dostoïevski, le film captive progressivement, en tissant les rets de discordes intimes ou sociales.
Le cinéaste turc s’est toujours intéressé aux citadins cultivés un peu superficiels, aux esthètes dépourvus d’enthousiasme, aux intellectuels sans courage, aux moralistes sans droiture, aux individus socialement libres mais enfermés dans leur égoïsme, aux êtres dont le sentiment de supériorité n’a d’égal que leur mesquinerie, aux amants séduisants, trop secs pour aimer vraiment. Dans Winter Sleep, on retrouve ces personnages las, cyniques et pathétiques, dont les silhouettes minuscules se perdent dans les paysages insolites de Cappadoce comme dans les tableaux romantiques de Caspar David Friedrich.
Ceylan - qui se dit un « grand mélancolique » attaché à traquer « tout ce qui se dérobe » - met en scène ces disputes froides et étouffantes, ces jeux de massacre où aucun personnage n’est en reste, avec une justesse qui rappelle certains films de Bergman. « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier, dit Nihal à son mari. Tu détestes les croyants parce que croire, pour toi, est un signe d’archaïsme et d’ignorance. Tu détestes les non-croyants parce qu’ils n’ont ni foi, ni idéal. »
Lorsqu’il a reçu la Palme d’or à Cannes, le réalisateur a dédié son film à la jeunesse turque et - de manière significative - à ceux qui ont « perdu leur vie » dans les mouvements contestataires.
Mme de Lafayette
OEuvres complètes
Paris, Gallimard
La Pléiade 2014, 1664 p.
L’œuvre de Madame de La Fayette est placée sous le signe de l’ordre, de la raison, de l’ordinaire et de la vraisemblance. C’est un théorème, une démonstration. Madame de La Fayette délaisse l’extraordinaire, le merveilleux, le chevaleresque, l’extravagant, bref tout ce qu’on appela communément pendant longtemps le romanesque, tout ce qui faisait battre le cœur des nobles intrigants et frondeurs, des précieux et des précieuses de la chambre bleue d’Athénaïs de Rambouillet.
L’idiot, parce que nous aurions dû nous aimer
d’après L’idiot de Dostoïevski,
Théâtre des Amandiers, Nanterre,
du 4 au 14 novembre ;
Théâtre Bonlieu, Annecy,
les 26 et 27 novembre.
Le malade imaginaire
de Molière
mise en scène Jean Liermier,
Stadttheater, Schaffhouse,
le 10 novembre,
Théâtre d’Angoulême,
du 25 au 28 novembre.
C’est un homme en colère. Il n’a que 35 ans. Vincent Macaigne, metteur en scène et acteur, fait un théâtre trash, que ce soit avec Hamlet de Shakespeare ou L’idiot de Dostoïevski. Il réécrit, malaxe, choisit des personnages-clés, en laisse tomber d’autres et donne au tout sa marque de fabrique. Avec des acteurs qui vont jusqu’au bout de leur personnage, à l’image du chanteur Kurt Cobain, en déferlante-son. Cela dure près de quatre heures, mais il les faut bien pour faire éclater sur scène des personnages dostoïevskiens électrisés, aux prises avec la mort, la passion, le crime.
Des pingouins et des géraniums
Musée des beaux-arts,
Berne, jusqu’au
11 janvier 2015
Alexander Calder. Gallery III
Fondation Beyeler,
Riehen (Bâle), jusqu’au
6 septembre 2015
Antony Gormley. Expansion Field
Centre Paul Klee,
Berne, jusqu’au
11 janvier 2015
L’Apôtre, de Cheyenne Carron
Paradis, d’Alain Cavalier
Ana Arabia, de Amos Gitai
Gemma Bovery, d’Anne Fontaine
François Gachoud, Comment penser la résurrection
Essai philosophique, Paris, Cerf 2014, 208 p.
François Gachoud fait œuvre de philosophe autour d’une question qui, finalement, relève de la foi, en convoquant pour l’essentiel le philosophe Michel Henry (1922-2002) pour discuter de deux choses : de la nature du corps vivant et de la visibilité du corps ressuscité. C’est dire qu’il s’appuie sur une « phénoménologie non intentionnelle » (une théorie qui identifie l’être d’une chose et son apparaître), pour dépasser le dualisme platonicien corps-matière/âme-esprit dans une dualité corps/chair. Il confère ainsi à la « chair » la dignité d’un espace de « manifestation » de la vie plénière du Sujet.
Sedulius, Le chant de Pâques
Poème pascal - Prose pascale
traduction de Bruno Bureau, Paris, J.-P. Migne 2013, 370 p.
Le Poème pascal de Sedulius a parfois été jugé par les critiques comme purement et simplement illisible. Pourtant, pendant plus de dix siècles, la valeur de ces textes ne s’est pas démentie et les lecteurs médiévaux qui les portaient au pinacle n’étaient sans doute pas moins intelligents que nous le sommes aujourd’hui.
Pour goûter à ce Poème, il nous faut changer notre regard et rejoindre celui des hommes de l’Antiquité tardive, dont nous admirons les créations en mosaïque et les magnifiques compositions symboliques - de l’arc de Sainte-Marie Majeure par exemple (Rome) - ou encore goûter à l’art de la miniature.
On ne sait pas exactement quand est né Sedulius. Sans doute au début du Ve siècle. Il commence par mener une vie de laïc, apprend la philosophie en Italie, puis rejoint une communauté à Liège pour une vie de prière et de contemplation, où il se plonge dans ses travaux poétiques. C’est un fin lettré, un professionnel des études littéraires, grand connaisseur de Virgile et de Lucain, désireux de bien faire comprendre combien la révélation chrétienne va au-delà de la connaissance que les païens peuvent avoir de la vérité.
Malheureusement, il n’a jamais précisé clairement dans quelles circonstances et pour quel usage il a composé son Poème. On a pu penser qu’il le destinait à l’enseignement des enfants ou des adolescents chrétiens, ou encore à l’approfondissement de la foi des adultes.
Le poète insiste sur la perfection de la création originelle de l’homme, mais il le fait pour souligner que cette perfection lui est rendue par l’action salvatrice du Christ. Pour lui, les miracles du Christ témoignent de sa nature divine. La christologie avait atteint à cette époque un très haut degré de spécialisation, qui dépassait la plupart des fidèles.
Sedulius est remarquable, il ne montre aucune hostilité contre les juifs et son originalité, exempte des préjugés de son temps, mérite d’être soulignée. Le livre premier parle des miracles de l’Ancienne Alliance. Le deuxième de l’Annonciation, de la naissance du Christ, de son enfance et du début de sa vie publique. Les troisième et quatrième décrivent la vie publique, les miracles, les rencontres. Le cinquième, la mort et la résurrection.
La deuxième partie de cet ouvrage reprend le Poème, mais est écrit en prose. Relevons le travail immense de traduction de Bruno Bureau, professeur de langue et de littérature latines à l’Université Jean Moulin - Lyon 3.